Amélie et ses balades parisiennes (partie 2)
Chapitre 4 : La Seine réunit les cœurs solitaires
Le conducteur du bateau met le moteur en marche. Amélie se laisse porter par son doux ronronnement. Une brise légère lui caresse le visage. Le soleil lui tape sur la peau. Elle se sent bien dans cette ville. Enfin tout lui semble plus simple ici. Elle se sent si proche de son père. Lui, qui n’est pourtant plus là. Elle sent sa présence dans chaque lieu, dans chaque recoin de la ville. C’est comme si elle pouvait le toucher. Toucher son histoire. Celle de ses parents et de leur rencontre. Elle se lève alors pour récupérer son sac et attraper la deuxième lettre de son père. Mais à peine s’est elle redressée qu’elle se sent percutée par quelque chose. Aussitôt, elle sent un liquide froid couler le long de son chemisier et lui mouiller le torse. Elle se redresse. Elle bouillonne et commence à jurer en espagnol contre le garçon en face d’elle, qui vient de lui projeter son jus d’orange dessus. Elle le reconnaît aussitôt. C’est le garçon de la gare. Bien sûr. On lui avait dit que Paris était une grande ville, mais voilà qu’à deux reprises elle croise le même inconnu dans la même journée ! Hasard ou destin ? Elle n’en sait rien. Ce qu’Amélie sait, c’est que son chemisier est trempé et qu’elle n’a aucun rechange pour la journée, puisqu’elle a laissé sa valise à l’hôtel qui se situe à l’autre bout de la ville.
« Je suis désolé. Vraiment ! Quelle coïncidence ! Je peux vous aider ?
– Non, c’est bon, je vais me débrouiller seule merci.
– Mais vous n’allez pas rester dans cette chemise mouillée ! Vous allez attraper froid. J’ai une chemise en rab dans mon sac. Prenez là. Je vous dois bien ça … Deux fois en une journée … »
Amélie ne sait pas si elle doit accepter. D’un côté cela lui paraît surréaliste d’accepter la chemise d’un étranger et en même temps elle ne peut pas rester avec cette tenue tâchée et trempée toute la journée.
« D’accord. Je vous remercie.
– Il y a des toilettes en bas des marches du bateau. »
Quelques minutes plus tard, Amélie revient vers le garçon, changée.
« Merci ! lance-t-elle.
– Je vous en prie. Vous êtes espagnole ?
– Oui. Répond Amélie. Comment le savez-vous ?
– Je vous ai entendu jurer en espagnol tout à l’heure. »
Le garçon travaille dans une banque. Aujourd’hui il est en congé. Il adore venir ici même si ses amis se moquent de lui car « c’est un truc de touriste de prendre le bateau mouche ». Il demande à Amélie ce qu’elle fait là. Elle lui raconte qu’elle est venue retrouver les traces de son père, décédé quand elle avait deux ans. Le garçon est désolé. Il fait alors le lien avec la photo ramassée dans la gare. Il propose à Amélie de lui faire visiter Paris. Cette dernière refuse. Elle lui explique les lettres et … Han ! Les lettres ! Le bateau va arriver dans quelques instants et elle a complètement oublié d’ouvrir la seconde lettre de son père. Amélie se précipite sur son sac, ouvre l’enveloppe et commence à lire la seconde lettre.
« Nous nous sommes rencontrés avec ta mère le 5 juin 1950. Nous avions 18 ans. Je sortais de la Sorbonne avec des copains de la fac. On venait d’avoir les résultats de notre première année de licence. J’avais obtenu la mention Bien. Pour fêter ça on avait décidé de s’offrir une bonne bouffe. La chaleur de juin envahissait les rues et faisait coller les T-shirt contre la peau moite. On est parti sur les Champs Elysées en mob au restaurant Lucchini. Le meilleur restaurant italien de la ville ! J’ai poussé la porte du restaurant, et aussitôt je l’ai vue. Elle parlait fort. Elle était assise avec ses copines à la table du fond. Des espagnoles. Elle avait des yeux noirs comme le jais et une robe verte qui relevait la couleur de ses cheveux auburn. Ta mère. Elle m’a regardé dans les yeux, puis m’a dévisagé de haut en bas. Nous ne nous sommes plus jamais quittés depuis ce regard du 5 juin 1950. »
Les larmes aux yeux, Amélie referme la lettre. Alors soudain, son visage s’illumine. Elle se tourne vers le garçon un sourire aux lèvres.
« J’ai peut-être un service à vous demander en fin de compte.
– Oui ?
– Avez-vous une voiture ?
– Oui.
– Alors direction les Champs Elysées ».
Chapitre 5 : Confidences parisiennes
Dans la voiture, l’excitation d’Amélie retombe. De nouveau, les doutes l’envahissent. Mais qu’est-ce qui lui a pris de demander à un garçon inconnu de l’emmener sur les champs Elysées, sur les traces de son père mort quand elle avait deux ans. De nouveau elle se sent toute petite dans cette grande ville, peuplée d’inconnus. Mais très vite, la voix chaleureuse du garçon et les lumières des rues qui s’allument peu à peu face à la tombée de la nuit, commencent à la rassurer. Timothée, c’est le nom du jeune homme, commence à lui raconter des histoires sur la ville de Paris. Ce qu’elle préfère ce sont les petites anecdotes qu’il glisse dans chacune de ses histoires. Il lui fait penser à son père un peu. Cette manière passionnée de raconter les choses. Il lui avoue qu’il aurait aimé être guide touristique. C’est vrai qu’avec sa chemise froissée et ses cheveux en bataille, il n’a pas vraiment l’allure d’un banquier. Avec les lueurs de la ville illuminée, Amélie peut voir ses yeux pétiller. Elle lui trouverait presque un certain charme dans cette atmosphère feutrée. Malheureusement pour Timothée, ses parents venant d’une grande famille de banquiers, il n’était pas question pour lui de devenir guide touristique. Alors il a rangé ses rêves d’enfants dans une petite boîte et il a fait comme la plupart des grandes personnes : se mentir à soi-même. Amélie est touchée par son histoire. Sans se l’avouer, elle commence à s’attacher à cet inconnu maladroit. Il lui pose des questions sur elle et sa mère. Il lui demande si elle a des frères et sœurs. Elle lui explique que non. Ses parents souhaitaient lui faire une petite sœur mais la vie ne leur en a pas laissé le temps. Elle lui explique qu’après leur rencontre, sa mère a rejoint son père à Paris. Ils ont vécu dans un 15 mètres carrés pendant 2 ans. Ils n’avaient rien mais ils étaient heureux. Sa mère était aide à domicile pour une famille bourgeoise dans le 5ème et son père écrivait des piges pour le petit journal du coin. Le soir, ils se réunissaient avec des copains et parlaient littérature, art et politique toute la nuit, une cigarette à la bouche et un verre de vin à la main. Sa mère s’est beaucoup plu pendant deux ans. C’était une ville pleine de joie, de fête et d’amour. Et puis elle en a eu marre. Marre de cette vie bohème. Sa famille lui manquait et elle voulait s’installer. Ils sont rentrés en Espagne et un an plus tard, Amélie venait au monde. Amélie ne voit pas le temps défiler, elle a l’impression que tout est suspendu pour un instant. Elle pourrait rester des heures à raconter sa vie à ce bel inconnu. Mais soudain les lumières inondent ses yeux. Son cœur se remplit alors de bonheur. Les Champs-Elysées. Ils y sont.
Camille Artaud